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L’IA, une révolution silencieuse qui bouleverse l’emploi des jeunes diplômés

À retenir

  • L’IA générative impacte l’emploi des jeunes diplômés, avec une baisse notable de l’embauche dans des secteurs exposés comme la tech et le droit.
  • Le taux de chômage des jeunes diplômés américains a atteint 5,3 % en 2025, supérieur à la moyenne nationale
  • Les entreprises privilégient les recrutements de profils expérimentés pour superviser l’IA, réduisant ainsi les opportunités pour les juniors.
  • En France, les offres d’emploi pour développeurs débutants ont chuté de 35 %, tandis que les métiers de la finance et du conseil subissent également l’automatisation.
  • Pour éviter une génération sacrifiée, il est essentiel de former aux compétences technologiques et humaines, et d’adapter les cursus pour répondre aux besoins du marché.

Un renversement historique sur les premiers emplois

Partout dans le monde, l’essor de l’intelligence artificielle (IA) générative semble freiner l’insertion professionnelle des jeunes diplômés. Les premiers signes sont apparus aux États-Unis : depuis la sortie de ChatGPT fin 2022, le nombre de jeunes développeurs de 22 à 25 ans en poste a chuté d’environ 20 % sur le marché du travail américain.

Plus globalement, dans les secteurs fortement exposés à l’IA, l’emploi des diplômés de 22-25 ans a reculé de 6 % entre fin 2022 et juillet 2025, tandis que celui des salariés expérimentés progressait de 6 à 9 % sur la même période (source cfecgc-adecco.com).

Conséquence directe, le taux de chômage des jeunes diplômés américains atteignait 5,3 % au deuxième trimestre 2025 (contre 4,1 % pour la moyenne nationale) – un niveau inédit depuis 2021. Pour la première fois depuis des décennies, les jeunes entrants sur le marché du travail connaissent un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale.

Plusieurs études récentes confirment cet « effet anti-jeunes » de la révolution IA. Des chercheurs de Stanford et Harvard ont montré que plus une entreprise adopte l’IA, moins elle recrute de jeunes talents.

D’après une étude menée par Stanford sur des données de paie ADP (portant sur 3,5 à 5 millions de salariés), les emplois d’entrée de carrière dans les métiers très exposés à l’automatisation par l’IA ont décliné de 13 % aux États-Unis, tandis que les postes seniors expérimentés ont été davantage préservés, voire augmentés.

« Il semble que l’IA générative a déjà des effets sur l’embauche des jeunes diplômés », résume Axelle Arquié, économiste au Cepii et cofondatrice de l’Observatoire des emplois menacés.

Les tâches simples autrefois confiées aux débutants ou a des développeurs séniors peu qualifiés – rédaction de rapports, synthèses, supports analytiques, développements simples – sont désormais prises en charge par l’IA, ce qui réduit les besoins en personnel entrant sans provoquer de licenciements immédiats. En somme, les premiers emplois supprimés par l’IA sont souvent ceux des jeunes et des développeurs “peu” qualifiés.

Les métiers du numérique, premiers touchés par l’automatisation

Sans surprise, c’est dans les métiers du numérique et de l’informatique que l’impact se fait le plus sentir. Aux États-Unis, leur effectif a fondu d’environ 20 % en moins de deux ans. De nombreux employeurs du secteur tech ont ralenti, voire gelé, l’embauche de profils juniors.

Selon Business Insider, les grands groupes technologiques (Google, Amazon, Apple, Meta, etc.) ont réduit de plus de 50 % leurs recrutements de jeunes diplômés depuis 2022. Les start-up de la Silicon Valley ont embauché 30 % de jeunes de moins depuis 2019.

Certaines directions RH s’interrogent ouvertement : avons-nous vraiment besoin d’un jeune diplômé en informatique, ou une IA pourrait-elle faire le travail ? Un article de La Tribune titrait de manière provocatrice : « Recruter un développeur junior ? C’est presque un acte philanthropique ».

Derrière cette formule choc se cache une réalité : sur un marché de l’emploi tech redevenu ultra-sélectif après les excès de la période Covid, donner sa chance à un débutant relève presque du sacrifice.

Faute d’expérience tangible et concurrencés par des outils d’IA de plus en plus performants qu’ils maîtrisent mal, les jeunes codeurs affrontent un milieu moins disposé à les former.

Certains recruteurs estiment même que les jeunes diplômés seraient moins aptes à utiliser efficacement les nouvelles solutions d’IA que leurs aînés – un comble pour une génération baignée dans le numérique.

 En France, selon Randstad, le nombre d’offres d’emploi pour développeurs débutants a chuté d’un tiers entre janvier 2024 et fin 2025. Le secteur technologique est le plus touché, avec 35 % de postes junior en moins sur la période.

Cette frilosité s’explique aussi par la nature des tâches informatiques d’entrée de gamme. De la correction de bugs mineurs à l’écriture de fonctions basiques, nombre de missions confiées aux jeunes diplômés ou à des développeurs seniors de faible expertise peuvent désormais être automatisées ou assistées par des IA (comme GitHub Copilot).

Résultat : les entreprises préfèrent recruter des profils expérimentés capables de superviser l’IA, plutôt que des juniors à former.

Finance, conseil, droit : les juniors aussi fragilisés

Les métiers du conseil, de la finance ou du droit – historiquement grands pourvoyeurs d’emplois juniors – subissent également la vague d’automatisation.

Les grands cabinets misaient jusqu’ici sur de larges promotions de jeunes recrues pour effectuer le travail de base (analyses, recherches, rédaction). Ce modèle est remis en cause. Aujourd’hui, rechercher une jurisprudence ou rédiger une synthèse peut souvent être accompli plus rapidement par des outils d’IA.

Dans les cabinets d’avocats, la recherche documentaire et l’analyse de contrats peuvent être partiellement automatisées. Ayline, 22 ans, étudiante en droit, observe ainsi que « de nombreuses activités des avocats peuvent désormais être automatisées ».

Le Monde notait récemment que les formations juridiques intègrent l’IA dans leur cursus : « Les IA ne vont pas remplacer les juristes, elles vont les augmenter. » Reste qu’à court terme, les cabinets recrutent moins de stagiaires et de collaborateurs débutants.

Dans la banque et la finance, certaines fonctions d’analyste junior sont également automatisées. Selon un responsable du secteur, « la moitié des emplois de début de carrière des cols blancs pourraient disparaître d’ici cinq ans » sous l’effet de l’IA. Même les diplômés de MBA prestigieux peinent à trouver un emploi actuellement aux États-Unis. En France, les signaux faibles d’une tendance similaire s’accumulent.

La France à son tour concernée

En 2024, le taux de chômage des 15-24 ans diplômés de l’enseignement supérieur s’élevait à 6,3 %, contre 5,4 % en 2022. Une légère remontée qui interroge, alors même que la part de jeunes titulaires d’un master est passée de 20 % en 2019 à 26 % aujourd’hui (record OCDE). Or cette massification du diplôme ne garantit plus une insertion professionnelle rapide.

Selon l’APEC, 41 000 embauches de cadres débutants sont prévues en 2025 – soit 16 % de moins qu’en 2024. Une étude de Randstad confirme que les offres ouvertes aux débutants ont chuté de 29 % tous secteurs confondus entre 2024 et 2025.

Dans la tech, les postes juniors ont fondu d’un tiers. Même les diplômés de grandes écoles sont concernés : début 2025, seuls 80 % d’entre eux avaient trouvé un emploi à la fin de leurs études, contre près de 86 % un an plus tôt.

Il existe toutefois des disparités : les jeunes diplômés en sciences, numérique ou ingénierie bénéficient d’un marché encore porteur (3,2 % de chômage), alors que ceux en droit, commerce ou gestion affichent des taux supérieurs (5,4 % à 6,1 %). Les filières STEM protègent mieux… mais ce sont aussi celles dont les tâches sont les plus susceptibles d’être transformées par l’IA.

Former, adapter, réinventer : les leviers pour éviter une génération sacrifiée

Pour éviter qu’une génération entière ne se heurte à une porte close, plusieurs pistes sont avancées :

Vers une génération augmentée

Enfin, pour aider les jeunes diplômés à mieux s’orienter, un effort est fait sur l’information et l’adéquation des filières. Les pouvoirs publics encouragent les futurs étudiants à se tourner vers les secteurs en tension (numérique, écologie, santé, industrie) plutôt que de s’engorger dans des cursus saturés.

Des outils d’aide à l’orientation comme Parcoursup intègrent de plus en plus les débouchés professionnels dans leurs conseils. On voit aussi émerger des doubles cursus alliant, par exemple, droit et informatique, management et data science, afin de créer les profils hybrides qu’affectionnent les employeurs d’aujourd’hui.

Car c’est bien là une des clés pour l’avenir : mixer les compétences. Un développeur purement technique risque d’être concurrencé par l’IA ; mais un développeur qui comprend les enjeux métier, sait communiquer et peut coopérer avec des outils d’IA restera hautement valorisé.

 



De même, un juriste connaissant les technologies numériques ou un manager sachant analyser des données auront un avantage décisif. Les diplômés de demain devront apprendre à cohabiter avec l’intelligence artificielle, en faire un atout pour se concentrer sur ce que l’humain fait de mieux – créativité, pensée critique, relations humaines – tandis que les systèmes automatisés prendront en charge le reste.

C’est à cette condition que la promesse d’une génération formée aux deux cultures, technique et humaniste, pourra se réaliser. Les décideurs, de leur côté, ont un rôle à jouer pour accompagner cette transition : investissement dans l’éducation, dans la recherche & développement (notamment en IA où l’Europe doit rattraper son retard), et adaptation du droit du travail pour fluidifier l’embauche des juniors tout en sécurisant les parcours.

Le défi est de taille, mais indispensable pour que la rencontre entre la jeunesse diplômée et les emplois de demain se fasse dans de meilleures conditions – et que la France tire pleinement parti de ses talents dans la compétition mondiale de l’innovation.

Des expertises nouvelles pour une génération augmentée

À l’ère de l’IA générative, les diplômés les plus recherchés ne seront pas seulement les meilleurs codeurs, mais ceux qui sauront croiser les compétences : techniques, culturelles et humaines.

Comprendre l’histoire d’un sujet, ses enjeux éthiques ou ses implications sociales permet de donner du sens à la technologie. L’intelligence émotionnelle, la communication claire et la capacité à travailler en équipe deviennent tout aussi essentielles dans des environnements de plus en plus transverses.

La vraie valeur ne réside plus dans la seule exécution, mais dans l’interprétation, l’interconnexion des savoirs, et la capacité à coopérer avec les IA.

Comme le soulignait récemment le Forum Économique Mondial, « les compétences de demain seront autant humaines que techniques ». Pour les jeunes diplômés, c’est une opportunité de se réinventer : devenir non pas les exécutants d’un système automatisé, mais les architectes d’un avenir hybride où la technologie amplifie l’intelligence humaine.

Face à des machines capables de générer du code ou de résumer des rapports, ce sont l’esprit critique, la créativité et la culture générale qui deviennent des atouts différenciateurs.

Olivier Robé – Directeur associé